lundi 4 mai 2015

Le Monde de la Terre Creuse - 1 : Svastika, d'Alain Paris Critique d'Illion

Le Monde de la Terre Creuse - 1 : Svastika, d'Alain Paris


Je souhaite tout d'abord remercier les éditions L'ivre-Book pour ce partenariat fort intéressant. Quand je me suis inscrite sur le forum Au coeur de l'Imaginarium pour ce livre, je pensais qu'il s'agissait de la réédition au format numérique d'un livre plutôt récent mais relativement inconnu. Troublée par le titre, je me suis mise à faire des recherches (succinctes) sur les Théories de la Terre Creuse. Que ne fus-je pas surprise d'y trouver mention de l'ouvrage comme faisant partie d'une grande saga de dix tomes publiés par Alain Paris à la fin des années 90 ! :-o

Originellement publiée chez Fleuve noir dans le rayon anticipation, la saga est aujourd'hui plutôt classée parmi les ouvrages de fantasy et/ou d'uchronie. Le point de départ est très simple, vous l'avez lu un peu plus haut dans le résumé : le Troisième Reich d'Hitler a gagné la Seconde Guerre Mondiale et entre dans son huitième centenaire d'existence. Si ce postulat place clairement le livre dans les uchronies, on voit mal au premier abord (i.e en se basant uniquement sur le résumé) ce que vient faire la fantasy là-dedans.

C'est justement une des premières choses qui m'a gêné dans ce livre. Mais soyons clair : la gêne dont il est ici question est propre à l'univers mis en place par l'auteur. Il ne s'agit aucunement d'une appréciation négative. En effet le scénario se dévoile dans un monde moyenâgeux ou début Renaissance. On sait que c'est le futur mais on se retrouve face à une régression sociétale proprement choquante par rapport à ce qu'elle était en 1945. On est approximativement en 2745 et au lieu d'avoir une technologie qui a évolué c'est comme si on avait tout redémarré à zéro, sans que le lecteur parvienne (au début tout du moins) à en comprendre la raison. Qui plus est, lors d'un dialogue au cours d'un repas entre différents personnages, on nous dit que "nous" (les humains de ce Reich du futur) vivons à l'intérieur de la Terre, sur la surface concave de la croûte terrestre. Nous serions donc passé en 800 ans de la surface au sous-sol de la Terre. Soit. Mais pourquoi dans ce cas les scientifiques de ce monde (les astrologues) disent-ils qu'aux Pôles il est possible de communiquer avec d'autres sphères ? Je dois dire que dans les premières pages, j'étais bien perdue. Je confrontais ce que nous savons aujourd'hui du monde à ce que l'auteur nous révélait du sien et les deux étaient si différents que j'en ressentais une sorte de panique asphyxiante, tant je trouvais cela illogique et insensé.

La réponse a fini par venir, en partie, du personnage de l'astrologue attitré du Graf von Hagen, qui nous explique l'histoire du Reich de la Terre Creuse. Il y a bien eu une victoire, mais a un prix exorbitant qui a conduit le monde dans un âge de ténèbres duquel est sorti le monde actuel, avec une géographie profondément modifiée, bien que l'auteur ait pris soin d'utiliser des points de repères connus du public. Néanmoins une petite carte en début d'ouvrage aurait été appréciable. Dans ce nouveau monde il n'y a pas de religion et les événements du passé sont perçus et racontés dans une veine épique surprenante pour quelqu'un qui en connaît la vérité. Le décalage entre ce que savent les personnages et ce que le lecteur sait réellement crée une atmosphère oppressante. On pourrait en rire si ce n'avait pas été si dramatique. Cette vision épique des choses est induite par l'univers moyenâgeux, mais je suis néanmoins horrifiée à l'idée qu'un jour quelqu'un pourrait effectivement penser cela. Car c'est l'oubli de l'Histoire et la propagande poussée à l'extrême pour appliquer les idéaux du "Premier Empereur" qui ont conduit à cette vision des faits. Il n'y a pas de religion mais le "Premier" est devenu un Dieu dont les "Hauts-Faits" sont des légendes et partie intégrante de la mythologie du Reich. On peut d'ailleurs rapprocher cette mythologie des mythologies nordiques par moment.

Ce tome de la saga est un tome d'introduction. Fondamentalement il ne se passe pas grand chose si ce n'est la déchéance du personnage principal, qui doit servir d'élément déclencheur et de catalyseur pour une vengeance à venir dans les tomes suivants (eh flûte me voilà condamner à lire la suite T_T...). Cette déchéance est dû à une dénonciation calomnieuse d'un autre personnage, dénonciation entraînant une grande purge, digne de Staline, dans la famille d'Arno von Hagen. Certains personnages sont en effet accusés de fomenter un complot contre l'Empereur, pour donner l'indépendance au Protectorat d'Ukraine. Bien que n'ayant suivi les événements que de manière épisodique, je ne peux m'empêcher de noter une similitude avec ce qui se passe en Ukraine en ce moment. Je ne sais pas si Alain Paris fut réellement visionnaire sur ce coup-là, mais la coïncidence mérite d'être remarquée. Concernant le "complot", l'Empereur est lucide sur la situation. Il laisse néanmoins faire la Sainte-Vehme (sorte de police politique, à la fois juge et bourreau, comme la Gestapo) sans réagir. Est-il prisonnier de son rôle ou a-t-il peur de la Sainte-Vehme ? Quoiqu'il en soit, dans ce monde sombre et oppressant que nous décrit Alain Paris, on remarque que même l'utopie nazie pleinement réalisée est soumise à l'influence des "déités" du Pouvoir et de l'Ambition et sur l'autel desquelles des innocents sont sacrifiés comme le héros.

On peut donc dégager de ceci plusieurs catégories de "pouvoirs" :
- la Sainte-Vehme, comparable à la Gestapo et dont le nom seul inspire la terreur
- un pouvoir scientifico-religieux, garant de la vérité et de la connaissance du monde, à travers les astrologues. Ce pouvoir représente néanmoins les théories officielles et donc la propagande.
- un pouvoir scientifique dissident en la personne d'Urien (il y en a sans doute plus mais c'est à voir dans les prochains livres) dont l'opinion sur le monde est différent
- un pouvoir (?) révolutionnaire. Arno von Hagen en est vraisemblablement le caractère principal mais pour l'instant cet aspect est seulement suggéré et très peu développé.

Ayant fait mes petites recherches, j'ai appris que l'auteur avait été fortement décrié sur cette saga, accusé de faire l'apologie du nazisme. On ne peut pas donner tort aux détracteurs : ce qui est évoqué est proprement révoltant. Et c'est révoltant parce que c'est plausible. C'est la grande force d'Alain Paris, qu'on peut (à mon avis) comparer à Terry Pratchett de ce point de vue là : construire un monde fictif suffisamment cohérent pour qu'il nous semble vivant. Bien sûr ici il y a la dérision et l'humour en moins, au profit d'un monde sombre, violent, oppressant et étouffant, car telles sont les dictatures et les dystopies. Car je crois qu'on peut parler ici de dystopie. Je n'en dévoilerais pas plus sur le livre si ce n'est pour dire que je suis admirative de la richesse et de la complexité qu'a réussi à mettre en place l'auteur.

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